Montée depuis Martigny :
Distance : 13,3 km – Dénivelé : 1058 mètres – Pente moyenne : 7,9 % - Pente maximale : 9 %
12,5/20
Apparu sur le Tour en 1948, le col de la Forclaz (qui ne doit pas être confondu avec le col de la Forclaz de Montmin en Haute Savoie) met en lien le Valais suisse et la vallée de Chamonix. A l’instar des cols des Mosses, du Pas de Morgins ou du grand Saint Bernard, ce sérieux obstacle est régulièrement visité par la grande boucle lorsqu’elle traverse les massifs suisses.
La pente qui se maintient autour de 8% tout au long de l’ascension n’offre aucun répit. Le pied de la montée propose une traversée de Martigny (470 m) qui permet d’apprécier l’église Saint Michel de la fondation Pierre-Gianadda. Vous quittez la route menant au sommet du Grand Saint Bernard en enjambant la Dranse (500 m). Sur ce ruban d’asphalte très fréquenté, les petits braquets s’avèrent rapidement nécessaires. Dès la sortie de Martigny, la pente affiche 8% de déclivité. Vous vous élevez rapidement au milieu de vignes pour vous aventurer dans les bois du canton du Valais en empruntant la route de la Forclaz.
A l’image d’autres cols frontaliers du Tour (Petit Saint Bernard, Mont Cenis, Montgenèvre), la Forclaz propose une montée rendue indigeste par la forte circulation automobile et les gaz d’échappement.
Escaladant des pourcentages réguliers, vous enroulez le virage du Belvédère (652 m) qui se referme sur la gauche au kilomètre 4. La vallée maraichère du Rhône capte votre regard. Plus à l’est apparait la dent de Pierre-Avoi (2473 m) qui domine la station de Verbier (1500 m). Toujours aussi régulière et ombragée, la montée se poursuit en suivant un axe désespérément rectiligne. Le défi du jour dévoile néanmoins de jolis chalets suisses qui s’agencent avec gout et harmonie. Au kilomètre 8, le maximum de pente est atteint (9%). Au décours de la traversée des maisons du Chanton (1090 m), la Forclaz dessine une succession de lacets (kilomètre 10). Cet enchainement de quatre virages vous hisse au sommet du col. L’ultime épingle (1323 m) offre une vue plongeante sur les vallons boisés du canton du Valais et le Château de la Bâtiaz.
À la suite d’un dernier effort sur une pente toujours aussi soutenue, vous atteignez enfin le sommet (1528 m). Du col, un téléphérique rejoint le plan de Gy qui marque le pied de l’ascension du mont de l’Arpille (2085 m). Face à vous, s’étalent les sommets de la Pointe Ronde (2700 m) et de l’Aiguille de la Balme (2696 m). En contre bas, apparait le village de Trient (1300 m) qui appartient au district de Martigny. La frontière franco-suisse révèle l’aiguille du Tour (3542 m) qui domine le glacier des Grands. A l’opposé se dessinent les cimes des Alpes berninoises dont beaucoup dépassent les 4000 m. En terminant votre bidon, vous croiserez de nombreux randonneurs parcourant le sentier du Tour du Mont Blanc qui passe par la Forclaz.
Une fois parvenu au sommet du col, les cyclistes les plus affutés pourront s’attaquer au final de la 17ème étape du Tour 2016 qui s’achevait au barrage d’Emosson (1960 m). Via le col des Montets (1461 m), le versant occidental offre une ascension plus abordable (7,5 km à 5,8%) à travers le défilé de Tête-Noire.
La leçon de Maitre Jacques (10 juillet 1963)
Au départ de cette 17ème étape du Tour 1963, Jacques Anquetil ne porte toujours pas le maillot jaune. Le parcours de cette édition lui est moins favorable en raison d’un tracé plus montagneux et du raccourcissement du kilométrage des contre la montre sur lesquels le français a construit ses succès de 1957, 1961 et 1962. Les organisateurs souhaitent limiter la domination d’Anquetil en favorisant les grimpeurs.
Le terrain proposé aux coureurs entre Val d’Isère et Chamonix avantage le maillot jaune Bahamontes par rapport à son dauphin Anquetil revenu à 3’’ au classement général. Le début d’étape propose les ascensions du col du Petit puis du Grand Saint Bernard que Bahamontes franchit en tête. La difficulté de l’étape, le froid et la pluie incitent les acteurs à la prudence. Quatrième au classement général, Raymond Poulidor allume la première mèche en attaquant dans la longue descente du Grand Saint Bernard. Le vent défavorable qui souffle depuis l’entrée en Suisse fait avorter sa tentative. C’est un peloton regroupé qui se présente au pied du col de la Forclaz. Frederico Bahamontes profite des premiers pourcentages pour démarrer en prévision du contre la montre de Besançon qui lui est défavorable. Poulidor qui paye les efforts consentis dans le Grand Saint Bernard est décramponné et perd définitivement le Tour : il terminera 17ème de l'étape à 8’23" du vainqueur.
Moins bon grimpeur que l’espagnol, Anquetil qui n’a jamais franchi en tête un col du Tour de France malgré cinq succès doit repousser les attaques de l’aigle de Tolède pour remporter l’épreuve.
Au pied de l’ascension du col de la Forclaz, Raphael Geminiani informe le seinomarin qu’il utilisera un autre vélo pour bénéficier d’un braquet réduit de 42*26. Mais le changement reste interdit en course en 1963 si l’on excepte les incidents mécaniques.
« Vers un changement de règlement »
A Martigny, son câble de dérailleur est sectionné par la pince de son mécanicien Louis Debruckère qui fait partie du plan du directeur sportif. Jacques Anquetil (de la Comédie Française) simule un problème mécanique sur sa bicyclette dans le but de se doter d’un vélo au cadre plus léger sur lequel a été monté un petit développement. Le commissaire de course qui fait la sieste à l’arrière de sa DS après avoir terminé son p’tit quart de rouge de la musette du déjeuner ne remarque pas le numéro de l’équipe Saint Raphael-Gitane. Le triple vainqueur du Tour contourne ainsi le règlement qui interdit tout changement de vélo en course*.
Le normand résiste aux nombreux démarrages d’un maillot jaune étincelant qui n’arrive jamais à prendre plus de 50 mètres d’avance sur le français qui revient inlassablement au train. Au sommet, « la Caravelle » reprend son ancien vélo pour mieux préparer le sprint. Très agacé, Bahamontes qui prend d’importants risques pour lâcher Anquetil chute dans la descente. Son rêve de gagner à nouveau la grande boucle à l’âge de 35 ans prend fin. Le dossard 1 fait coup double en remportant une seconde étape sur le Tour 1963 et en endossant le maillot jaune sans être sanctionné. C’était la leçon de Maitre Jacques qui gagnera son 4ème Tour de France en établissant un nouveau record qu’il portera à cinq l’année suivante au terme d’un duel homérique avec Poulidor.
Ce grand amateur de champagne et de bière qui avait déclaré qu’il ne buvait pas d’eau parce que son estomac ne le supportait pas reste l’éternel premier : premier vainqueur de cinq Tours de France, premier français vainqueur du Giro, premier coureur à remporter les trois grands Tours. Peu avant sa mort qu’il juge inexorable, Anquetil confie à son grand rival Poulidor avec lequel « il a perdu 15 ans d’amitié » : « Il te faudra encore te contenter de la deuxième place, je vais partir le premier » **.
Jacques Anquetil est-il le plus grand coureur de l’histoire ? Sur quelle marche convient-il de le placer par rapport aux deux autres monstres sacrés qui ont également dominé une décennie ? A cette question impossible qui mêlent époques différentes, adversité dissemblable, âge du sondé et subjectivité je réponds 1-Eddy Merckx 2-Bernard Hinault et 3-Jacques Anquetil.
*Malgré la double réclamation des directeurs sportifs de Raymond Poulidor et Frederico Bahamontes, le délit ne sera jamais établi. Soucieux d’éteindre la polémique, les organisateurs autoriseront à partir de 1964 tout changement de vélo en course
**1987, l’amitié vraie de Jacques Anquetil et Raymond Poulidor, Eurosport
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